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Dordogne

Musique et musiciens d’Église dans le département de la DORDOGNE autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens de la Dordogne

Url pérennehttp://philidor.cmbv.fr/musefrem/dordogne

1-Le département de la Dordogne

Le département de la Dordogne et ses 9 districts (Carte tirée de La République Française en 88 départements, 1793)

Le département « de Périgueux » ou « du Périgord » est créé le 26 janvier 1790 sur la proposition des huit députés périgourdins qui siégeaient à l’Assemblée Constituante au moment où fut réorganisée la carte administrative de la France. Le 26 février, en suivant le principe de privilégier des noms géographiques plus neutres que ceux des anciennes provinces, c’est le nom de Dordogne qui fut retenu.

Dordogne-Périgord

● ● ● Une homogénéité relative et héritée

Le département de la Dordogne, à la différence de beaucoup d’autres, recoupe pour l’essentiel ce qui avant 1789 correspondait à une vieille province, le Périgord. Aujourd’hui encore, dans l’esprit de beaucoup d’habitants, voire de Français et d’étrangers, les termes évoquent la même réalité géo-historique. À y regarder de plus près, on peut remarquer quelques différences. Le Périgord regroupait deux diocèses, celui de Périgueux et de celui de Sarlat. La séparation entre les deux coïncidait avec une ligne naturelle correspondant aux cours de la Vézère et de la Dordogne. Le nouveau département, et donc le nouveau diocèse de Périgueux, intégra, au nord, le Nontronnais et à l’est une petite région autour de Lanouaille ; au total, une trentaine de paroisses furent ainsi prises sur l’ancien diocèse de Limoges. Ces deux ensembles, en particulier le premier, faisaient néanmoins partie de la province du Périgord traditionnel. Au sud-est de l’ancien diocèse de Sarlat, une vingtaine de paroisses furent prélevées sur celui de Cahors (autour de Carlux) et, plus au sud, quatre paroisses sur le diocèse d’Agen. À l’inverse, une trentaine de paroisses situées à l’ouest de l’ancien diocèse de Périgueux passèrent dans le département de la Charente et au sud une vingtaine de celui de Sarlat dans le département du Lot-et-Garonne. Les pertes et les gains se trouvaient ainsi équilibrés et, dans sa forme globale, le nouveau département de la Dordogne reste très proche de l’ancienne province du Périgord.

Le département forme un vaste amphithéâtre plus élevé au nord et à l’est, parties les plus occidentales du Massif central mais qui, en moyenne, ne dépassent pas 350 mètres d’altitude. Toutes les rivières ont à peu près la même orientation, du nord-est vers le sud ouest, puis finalement est-ouest pour se diriger vers l’estuaire de la Gironde. Au sud-ouest, les altitudes sont de l’ordre de 30 mètres. La ville de Périgueux, chef-lieu du nouveau département, occupe une position assez centrale conformément au vœu, pas toujours respecté ailleurs, de l’Assemblée nationale.

● ● ● Une économie médiocre mais contrastée

Si, aujourd’hui, le Périgord est une région qui attire les touristes pour ses paysages, ses villages, ses châteaux et sa gastronomie, il n’en était pas de même il y 230 ans. En 1789, le Périgord est une province très rurale, peu brillante, avec une agriculture encore archaïque et un commerce bien médiocre. Les rendements et la productivité sont faibles et les bois et terres incultes dominent l’espace à plus de 50 %. Cependant, d’autres éléments sont moins noirs : l’élevage porcin, voire bovin, dans le nord et l’ouest en liaison avec le Limousin et la production de châtaignes et de maïs. Le Bergeracois, plus fertile, se distingue par la culture des grains (seigle mais aussi froment) dans la vallée de la Dordogne et, surtout, celle de la vigne sur les coteaux au nord et au sud de la ville (environ un cinquième de l’espace cultivé). Les forges du nord et du nord-est du département apportent aussi une touche industrielle non négligeable pour la province.

● ● ● Des échanges souvent modestes avec l’extérieur sauf dans le sud

Cependant la situation géographique et la médiocrité des transports rendent les échanges difficiles et font du Périgord une province encore sensible aux crises, en particulier démographiques, dans un royaume où elles s’atténuent au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle. Comme le Limousin voisin, la province passe pour être « enclavée ». Effectivement seul l’axe routier venant de Limoges et passant par Périgueux puis la vallée de l’Isle vers Libourne puis Bordeaux peut être considéré comme une route de qualité correcte en 1789. Mais des chemins plus médiocres parcourent toutes les campagnes avec une fréquentation dont on imagine difficilement l’intensité aujourd’hui et surtout, dans le sud, la rivière Dordogne représente un axe majeur des échanges vers des horizons plus lointains. Le port de Bergerac connait un important trafic de grains, de bois et de vin et présente un tout autre visage que les villes situées plus au nord ou à l’est (comme l’ont montré les travaux d’Anne-Marie Cocula).

● ● ● Une population fragile

Le monde des campagnes est dominé numériquement par une masse importante de petits propriétaires qui possèdent entre deux et trois hectares souvent en une dizaine de parcelles dispersées dans la paroisse, mais il existe aussi des métairies de 15-20 hectares en particulier proches des villes. Dans l’ensemble, comme le montre l’essor du volume des dîmes (environ 25 % sur le siècle) (Guy Mandon, 1989), la production agricole a connu une croissance au siècle des Lumières mais elle resta inférieure à celle de la population. Celle-ci demeure ainsi très sensible aux disettes, aux épidémies et à la mort, et ceux qui le peuvent quittent le Périgord pour Bordeaux, grand pôle dynamique et attractif pour tout le sud-ouest du royaume.

● ● ● Des villes modestes

Les structures urbaines sont en rapport avec ce pays profondément rural. Sur les 400 000 habitants, à la veille de la Révolution, seuls 5 % vivent en ville. Mais ces villes sont de bien petites dimensions. La plus importante est Bergerac avec environ 8 000 habitants. Périgueux est moins peuplée (4 500-5 000 habitants) puis viennent Sarlat (environ 3 000), Nontron, Terrasson et Montignac (environ 2 000 habitants). Ces six villes n’ont qu’une étroite influence locale. Enfin, une trentaine de petites citées (autour de 1 000 habitants) comme Saint-Astier, Belvès, Monpazier, ne sont que de simples petits marchés. Le reste du Périgord est caractérisé par des paroisses à l’habitat très dispersé (un bourg regroupant église, cimetière et quelques maisons autour desquels gravitent des dizaines de hameaux). Dans les villes, en particulier les plus grandes, vivent une minorité de personnes aisées : petite noblesse locale (les grandes familles ont quitté le Périgord depuis des décennies et sont à Paris et/ou Versailles), bourgeoisie d’offices, commerçants, professions libérales mais des nuances existent entre ces villes.
À Bergerac, les gros négociants (en grains en particulier) sont nombreux ; toutefois ce sont les officiers de la sénéchaussée qui dominent la vie municipale (Michel Combet, 2002 et 2017) ; quant aux riches propriétaires de vignobles, souvent protestants, ils restent dans leurs domaines des campagnes environnantes. À Périgueux, le dynamisme est plus modeste. Membres du clergé, nobles, bourgeois vivant noblement représentent un tiers de la population. Ils possèdent des biens fonciers dans les environs mais les revenus sont médiocres… comme les terres. Plusieurs essais de sociétés littéraires sont lancés dans la ville entre la fin du XVIIe siècle et la Révolution, dont le dernier en 1780, sans grand succès. Aussi, les plus aisés, dépensent-ils beaucoup d’énergie à défendre surtout leurs privilèges principalement fiscaux, commerciaux et honorifiques. Dans les deux villes dominent, en nombre, tout un monde de petits commerçants et artisans ou encore de domestiques et manouvriers qui, comme on le verra plus loin sont assez souvent les milieux où sont nés nos musiciens périgourdins.

Nouvelles et anciennes structures administratives et religieuses

● ● ● Les cadres administratifs

La création du département en 1790 permet à Périgueux de s’imposer comme chef-lieu du nouveau département mais ce n’est qu’après d’âpres luttes avec deux autres villes, Bergerac et Sarlat, et après qu’on eut envisagé un chef-lieu tournant entre les trois cités. Le territoire du nouveau département est partagé en neuf districts. Aux trois villes citées s’ajoutent Belvès, Excideuil, Montignac, Mussidan, Nontron et Ribérac. Là comme ailleurs en France, ce nouveau découpage du territoire apporte une simplification aux structures complexes de l’Ancien Régime. Précédemment, la province dépendait, pour l’essentiel, de la généralité de Bordeaux avec deux élections, Périgueux et Bergerac, trois sénéchaussées, Périgueux, Bergerac et Sarlat et deux recettes des finances, Périgueux et Sarlat. Au total, trois villes seulement s’imposent dans la province mais avec des ressorts administratifs souvent bien différents débordant parfois sur des territoires voisins et avec des enclaves de structures administratives extérieures.

● ● ● Les cadres religieux

Le territoire couvert par le nouveau département était précédemment partagé entre cinq évêchés. Celui de Périgueux et celui de Sarlat regroupaient, on l’a vu, plus de 90 % des paroisses, les autres paroisses venant des diocèses voisins de Limoges, Cahors et Agen.

Le diocèse de Périgueux était le plus ancien et son territoire correspondait à l’origine à celui de la cité gauloise des Pétrocores. Si saint Front, le « premier évêque » qui aurait vécu entre la fin du Ier siècle et le début du IInd siècle, est un personnage en partie légendaire, la liste des évêques peut être établie à partir du IIIe siècle et surtout du début du VIe siècle. En 1317-1318, Jean XXII natif de Cahors et premier pape d’Avignon, se lança dans un vaste redécoupage des diocèses du sud de la France et c’est ainsi que fut créé le diocèse de Sarlat. Près de 250 paroisses du sud et du sud-est du Périgord furent prélevées sur celui de Périgueux soit plus du tiers du total périgourdin. En 1789, elles sont réparties en sept archiprêtrés alors que les 440 paroisses du diocèse de Périgueux l’étaient en 16. Ces deux diocèses relèvent de la province ecclésiastique de Bordeaux. La constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790, réduit le nombre de diocèses à 83 soit un par département. En Dordogne, seul celui de Périgueux (siège du chef-lieu) est conservé et celui de Sarlat est supprimé. L’évêque prend alors le titre d’ « évêque de Périgueux et Sarlat », encore porté aujourd’hui.

La vie musicale dans l’ancien diocèse de Périgueux

Le recensement des lieux musicaux potentiels fait apparaître une cathédrale, quatre collégiales et trois abbayes mais les recherches en archives n’ont donné des informations que pour cinq établissements : la cathédrale Saint-Front de Périgueux, la collégiale de Saint-Astier et les abbayes de Brantôme, Chancelade et Ligueux.

La ville de PÉRIGUEUX, une modeste capitale provinciale et musicale

La ville regroupait six paroisses et un certain nombre de couvents de femmes et d’hommes (13) ainsi qu’un collège mais les sources ne permettent de renseigner qu’un seul lieu musical, la cathédrale. Il parait peu probable qu’aucun instrument ni aucune voix ne soit venu embellir les cérémonies religieuses de ces établissements mais aucun écho n’en est sorti des archives consultées.

• • • Des cathédrales

2-Périgueux cathédrale Saint-Etienne

Périgueux, ancienne cathédrale Saint-Etienne (Par Cobber17 — Travail personnel, CC BY 3.0, httpscommons.wikimedia.orgwindex.phpcurid=11394704)

Le pluriel peut étonner mais de fait en douze siècles, Périgueux a connu deux cathédrales. La première est Saint-Étienne au cœur de la Cité, c’est-à-dire de l’ensemble urbain qui fut maintenu et remanié après la fin de l’empire romain. Son origine remonte au VIe siècle et un nouvel édifice à coupoles fut bâti entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle. Cette première cathédrale fut à moitié détruite lors des Guerres de Religion puis reconstruite plus modestement autour des années 1620. Elle subit de nouveaux dégâts au moment de la Fronde (1648-1653). En 1669, la décision fut prise de transférer le siège épiscopal à l’église de la collégiale Saint-Front. Saint-Étienne-la-Cité demeura jusqu’à aujourd’hui une simple église paroissiale.

3-Périgueux cathédrale Saint-Front

Périgueux, cathédrale Saint-Front dans son état au milieu du XIXe siècle identique à celui de 1790 (Photographie de Édouard Baldus, 1852.)

Une première chapelle dédiée à saint Front avait été construite au VIe siècle (vers 520) sur une butte à l’extérieure de la Cité ; elle fut détruite par les Normands au IXe siècle. Deux siècles plus tard, on édifia une abbaye et c’est en son sein que furent déposées les reliques de saint Front. L’édifice fut en partie détruit par un incendie au début du XIIe siècle. Dans les années 1170, une nouvelle église à plan en croix grecque à cinq coupoles remplaça l’ancienne. Pillée, comme la cathédrale, par les protestants au XVIe siècle, elle retrouva son lustre au cours de la première moitié du XVIIe siècle et c’est dans ce contexte qu’elle fut choisie comme siège de l’évêque. Dès les années 1760 les coupoles en mauvais état furent recouvertes d’une charpente et d’un toit en ardoise. Cependant le monument que l’on voit aujourd’hui, emblème de la ville, doit beaucoup au travail de l’architecte Abadie (celui du Sacré-Cœur de Paris) dans la seconde moitié du XIXe siècle : reconstruction, restitution, le débat fait toujours rage.

Constitué de chanoines séculiers depuis le XVIe siècle, selon l’abbé du Tems (Le clergé de France, t. 2, 1774), le chapitre cathédral regroupe quatre archidiacres, un théologal, un écolâtre, un grand-chantre, un sous-chantre et 34 chanoines à la fin de l’Ancien Régime (une archive de 1773-1774 donne la liste de ces derniers). Le Pouillé de 1760 estime les revenus à 13 600 livres mais une étude de la fin du XIXe siècle donne un revenu net d’un peu plus de 67 000 livres (Abbé H. Brugière, 1893). De fait, le chapitre est seigneur de quelques paroisses autour de Périgueux et reçoit les dîmes d’une dizaine de paroisses de cette même zone proche de la ville.

En 1789-1790, le siège épiscopal est occupé par Mgr de Grossoles de Flamarens (1736-1815). D’abord militaire, il choisit ensuite l’état ecclésiastique. Après avoir été vicaire général dans le diocèse de Chartres, il est nommé évêque de Quimper où il ne reste que trois mois et est transféré à Périgueux en avril 1773. Peu aimé dans son diocèse, il n’est pas élu député en 1789 et émigre peu après. Refusant de se démettre après la signature du Concordat en 1801, il reste en exil et meurt à Londres en juillet 1815.

• • • La musique du chapitre

Avant que Saint-Front ne devienne siège de l’évêque en 1669, un petit document (publié par Michel Hardy, 1888) laisse penser qu’il y avait un chapitre et des musiciens à la cathédrale Saint-Étienne et à Saint-Front, alors collégiale. En effet en 1652, à la suite des désastres causés par la Fronde dans les campagnes autour de Périgueux, les revenus fonciers des deux établissements furent fort amoindris et les deux chapitres décidèrent de nommer un seul maître de psallette. Ce fut Élie Candal, prêtre, prébendier de Saint-Front, qui fut choisi avec un traitement annuel de 1 100 livres (600 livres par la cathédrale et 500 par Saint-Front). Il devait instruire et enseigner, nourrir et entretenir les huit enfants de chœur ; Baratier, chantre, lui était adjoint comme sous-maître.

Contrairement à ce que quelques références vues plus haut pourraient le laisser croire, les archives conservées du chapitre sont peu nombreuses. Pas de belles séries de comptes capitulaires, mais des pièces éparses des deux dernières décennies avant la Révolution, au total peu de choses. Pour l’étude du monde musical de la cathédrale, on ne dispose donc que des archives des années 1790-1794 conservées à Paris (AN/ série D XIX) et à Périgueux ( Ad24/ séries L et Q). Elles permettent de reconstituer l’effectif des musiciens et de connaître leur situation dans cette période difficile pour eux.

En 1790, le bas-chœur, tel que les sources permettent de l’étudier, comprend dix adultes et cinq enfants de chœur : un maître de musique Joseph LEMOINE (56 ans), un sous-maître et basse Jean GASPARD (20 ans) qui était encore enfant de chœur cinq ans plus tôt ; cinq chanteurs, Antoine BARDON (42 ans) basse-taille, François JAUBART (46 ans) haute-taille, Jean AYMARD (43 ans) haute-contre, Jean CHINOURS (67 ans) chantre ; quatre instrumentistes, Françoise JAUBART (20 ans), fille de François, organiste, Jean LATOUR (20 ans), enfant de chœur cinq ans plus tôt, serpent, Jean-Baptiste RIBOULET (36 ans) clarinette, et Pierre CHARRIERE (39 ans) basse d’accompagnement. L’ensemble est complété par cinq enfants de chœur (La France ecclésiastique de l’édition 1789 donne le chiffre de six): Louis BLONDIN (15 ans), Jean PAUTARD (15 ans), Raymond PARAVEL (14 ans), Jean BARREAU (13 ans) et François VALETTE (10 ans). La musique de la cathédrale de Saint-Front est ainsi bien fournie avec des voix et des instruments variés, et on pourra noter la présence d’une clarinette, instrument encore rare à la fin du XVIIIe siècle dans une église. Si l’on met à part RIBOULET, le joueur de clarinette, qui n’est présent que depuis huit ans en 1790 et les plus jeunes, les musiciens ont une présence d’une vingtaine d’années dans le chœur de Saint-Front et doivent avoir une bonne pratique en commun.

Les enfants de chœur sont dans la tranche d’âge classique pour chanter avec leur voix qui n’a pas encore muée ou à peine. Les autres musiciens de Saint-Front peuvent être regroupés en trois groupes d’âge. Deux sont déjà âgés, LEMOINE et CHINOURS et si pour le premier cela peut ne pas être un handicap pour exercer son art à la tête de l’ensemble, chanter pour le second doit être plus mal aisé mais il le fait, malgré tout, depuis 47 ans. Le directoire du département le décrira d’ailleurs comme « vieux et infirme » et en 1791, il n’est plus compté dans les effectifs de la cathédrale constitutionnelle. Viennent ensuite ceux que l’on peut qualifier de ''quadras'' (ou presque pour CHARRIERE) qui sont chanteurs ; enfin, mis à part RIBOULET qui a près de 40 ans, les plus jeunes sont les instrumentistes qui n’ont que 20 ans. Les trois doivent se connaître depuis l’enfance, LATOUR et GASPARD étaient enfants de chœur quand Françoise JAUBART grandissait dans les mêmes sphères musicales à l’ombre de son père qui chantait déjà dans le chœur ; elle avait pour camarade du même âge Marie-Madelaine BARDON, fille d’Antoine, que nous retrouverons plus loin, organiste elle-aussi en 1790, à l’abbaye bénédictine de Ligueux.

• • • Des musiciens encore mal connus

L’origine géographique ainsi que la formation des ces musiciens sont très peu documentées pour le moment. Deux d’entre eux seulement ne sont pas originaires du Périgord et font partie de ces musiciens qui circulent à travers la France, en particulier pour eux dans le sud-ouest. On apprend par le registre des mariages de Saint-Emilion de 1770 qu’Antoine BARDON est né à Chalabre [Aude] en 1749 et qu’il était en 1770 « musicien titulaire au chapitre collégial de Saint-Emilion ». Comment s’était-il retrouvé en Bordelais à l'âge de 20 ans ? Aucun document étudié ne permet de répondre à cette question. En 1770 ou 1771, il intègre la cathédrale Saint-Front de Périgueux comme chanteur (basse-taille), emploi qu’il exerce toujours vingt ans plus tard. Son collègue haute-taille François JAUBART a un parcours assez proche. Né à Moissac [Tarn-et-Garonne] en 1744, il devient musicien à la cathédrale Saint-Front à 20 ans et y fera toute sa carrière jusqu’en 1790. Pour ces deux chanteurs, on ne possède pas d’éléments sur leur formation mais on peut imaginer qu’ils ont du débuter comme enfant de chœur – sans savoir où avec certitude. Quatre autres (AYMARD, CHARRIERE, CHINOURS et RIBOULET) n’apparaissent dans la documentation rassemblée que quand ils intègrent la musique du chapitre de Saint-Front comme musiciens ou chanteurs soit encore jeunes, à 15 ans ou 20 ans (CHINOURS, AYMARD et CHARRIERE) soit nettement plus tard (RIBOULET à 30 ans). Les trois jeunes du groupe (Françoise JAUBART, LATOUR et GASPARD) sont les seuls pour lesquels on peut être assuré d’une naissance à Périgueux et d’une formation locale, dans la musique du chapitre pour les garçons (enfants de chœur à 5 ou 6 ans) ou dans des sphères familiales proches (Françoise).

Le cas de Joseph LEMOINE, maître de musique, reste aussi un peu problématique. Certains des documents de 1790-1791 le vieillissent de dix ans. Pourtant, sa naissance se situe en 1734, et son accession au poste de maître à Saint-Front en 1768, à l'âge de 34 ans. Il est précisé aussi qu’il avait été reçu enfant de chœur à la cathédrale Saint-Front à l'âge de six ans, soit en 1740, et il a dû le rester jusque vers 1750. Qu’a-t-il fait entre sa sortie de la maîtrise et 1768 ? Aucun document n'a jusqu'alors fourni d’information. Ensuite, bien installé dans sa fonction de maître de musique, LEMOINE est très présent dans les événements heureux des musiciens, témoin souvent dans les baptêmes voire parrain pour Françoise JAUBART. On peut voir là, la marque de rapports faits d’amitié entre ces hommes qui se côtoient depuis des années. Actuellement, seuls deux prédécesseurs de Joseph LEMOINE sont connus par des informations tirées des registres paroissiaux de Périgueux. François TEXIER (né vers 1667) fut maître de musique de 1701 à 1702 à la cathédrale Saint-Front de Périgueux – période pendant laquelle naissent deux enfants – avant de partir pour exercer ses talents à la cathédrale Notre-Dame-de-la-Sède à Tarbes jusqu’à sa mort en 1721. Pierre Daniel MUL, Bordelais d’origine, avait quant à lui occupé le poste de maître de musique de la cathédrale Saint-Front de 1705 à 1717 (il a eu six enfants durant ce laps de temps à Périgueux). Il exerce ensuite cette fonction à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Bazas (1719-1727), à la suite de son beau-père Barthélemy ROUMIEU puis à la collégiale Notre-Dame de Saint-Émilion (1727-1736).

• • • Des traitements hétérogènes

Tous ces musiciens reçoivent un traitement formé le plus souvent de deux parts, un fixe et un casuel. Seule Françoise JAUBART ne reçoit qu’un fixe qui s’élève à 400 livres soit le troisième traitement par ordre d’importance en 1790. En étudiant le traitement fixe, et en mettant de côté celui de LEMOINE maître de musique qui doit pourvoir à la formation, l’entretien et à la nourriture des enfants de chœur et reçoit pour tout cela 1 600 livres, on peut estimer le traitement moyen à un peu moins de 270 livres. Cependant les disparités sont grandes entre RIBOULET (60 livres) et BARDON (420 livres) et il est bien malaisé de déterminer sur quels critères est établi le montant. On pourrait penser que l’âge, et donc l’ancienneté, pourraient jouer un rôle mais cela ne se vérifie pas. CHINOURS, chanteur âgé de 67 ans et présent depuis 47 ans, reçoit un traitement assez modeste de 200 livres et Françoise JAUBART âgé de 20 ans, organiste depuis cinq ans seulement, reçoit 400 livres. Toucher l’orgue de la cathédrale pour des cérémonies qui doivent avoir une belle tenue musicale, dont l’instrument est le support essentiel, implique des qualités que doit posséder la jeune fille et qui mérite un beau traitement. CHINOURS, quant à lui, est qualifié de « bourgeois de cette ville » à l’occasion d’un baptême où il est le parrain de l’enfant. On peut envisager l’hypothèse, à confirmer par une étude sociale plus approfondie, que CHINOURS chantait à Saint-Front comme activité annexe car il avait (eu ?) une belle voix et qu’il exerçait un autre métier, plus rémunérateur. Le sous-maître de musique Jean GASPARD a seulement 20 ans mais, ancien enfant de chœur à la cathédrale, il a dû être remarqué pour ses qualités de chanteur, de musicien (voire de compositeur) et ses capacités à diriger l’ensemble. Il pouvait espérer devenir maître à part entière après le départ de LEMOINE mais la Révolution en a décidé autrement.
Les biographies de tous ces musiciens n’étant pas très fournies en précisions sur la formation qu’ils ont pu recevoir, on retiendra comme critère, au moins probable, celui de la compétence musicale comme facteur discriminant pour l’établissement des traitements mais cet élément est bien sûr difficile à mesurer près de 230 ans plus tard, faute de source. Si l’on tient compte du traitement casuel qui s’ajoute au fixe, la hiérarchie n’est que très peu bouleversée. Cependant ce sont les traitements fixes modestes qui sont les plus augmentés par l'adjonction du casuel. RIBOULET joueur de clarinette au traitement fixe de 60 livres obtient 220 livres au total sur l’année. Là aussi une hypothèse peut être avancée. Les petits traitements ne seraient-ils pas ceux accordés à des musiciens n’intervenant pas de manière régulière et auxquels on ferait appel pour des cérémonies réclamant un effectif plus conséquent ?

• • • L’épreuve des années 1790

En 1790, tous ces musiciens se trouvent confrontés aux conséquences de la suppression des chapitres et, théoriquement, de leurs activités musicales. Entre la fin de l’année 1790 et le début de 1791, tous essaient d’obtenir d’abord les derniers versements de leur traitement de 1790. En application de l’article XIII du décret du 24 juillet 1790, ils effectuent les démarches communes pour obtenir pensions ou gratifications en s’adressant d’abord au district de Périgueux qui doit donner un avis et le transmettre au directoire du département. Le premier se montre en général plus généreux que le second avec une pension moyenne proposée de 438 livres contre 295 livres seulement par le département. On peut cependant penser qu’il s’agit là d’un jeu classique qui consiste à demander plus pour être certain d’avoir un minimum. Les avis du district sont parfois argumentés : « la nature et la durée des services » pour Jean AYMARD ou « a fleur de l’âge » pour Jean LATOUR. Mais dans le tableau envoyé par le directoire du département au Comité ecclésiastique de l’Assemblée nationale le 16 février 1791, la colonne « Observations » contient un peu plus d’information sur chacun(e). Si pour certains, l’honnêteté est mise en valeur, pour beaucoup c’est surtout la pauvreté, le manque de ressources ou l’absence de tout autre état (pour les plus jeunes) qui dominent dans ces quelques phrases. Là encore, faire la part de la réalité et de l’argument utilisé pour convaincre est difficile. Malgré tout, face à cette situation indécise et en attendant les décisions de l’assemblée, le département sut au printemps 1791 accorder des avances aux musiciens, souvent d’ailleurs après quelques suppliques supplémentaires de ces derniers.

• • • Un sursis pour les musiciens du chapitre dans la cathédrale constitutionnelle

Par rapport à d’autres musiciens d’église de Dordogne, ceux de Périgueux bénéficient d’un avantage car la cathédrale est maintenue en tant que telle dans le cadre de la Constitution civile du clergé. Le diocèse de Périgueux est doté d’un nouvel évêque (Pierre Pontard) et si le chapitre est dissout, la maîtrise est conservée. Dans un mémoire présenté par tous les musiciens en septembre 1791 où ils demandent que ce qu’ils ont déjà reçus ne soit pas imputé sur ce que l’Assemblée va leur accorder, ils utilisent un argument intéressant. Ils précisent en effet qu’ils ont effectués un « service assidu » dans l’église paroissiale et la cathédrale et « dans les différents fêtes patriotiques et cérémonies publiques qui ont pu avoir lieu depuis la suppression du chapitre ». On a là un indice d’une réorientation partielle des activités de ces chanteurs et musiciens d’Église à partir de 1790. Dans un document de la fin de l’année 1791, nous retrouvons les musiciens de cette « nouvelle » maîtrise, sauf Jean CHINOURS. Deux des cinq enfants de chœur (Jean BARREAU et Jean PAUTARD) sont présents mais trois (BLONDIN, PARAVEL et VALETTE) ont été remplacés par deux petits nouveaux Guillaume HYVERT et Benjamin BARDON, fils d’Antoine et frère de Marie-Madeleine. Une colonne de ce tableau donne le traitement annuel décidé par le département et versé par lui. Par rapport à ceux qu’accordait le chapitre, il y a moins de disparités et un niveau moyen plus élevé (360 livres). On peut remarquer aussi que Françoise JAUBART reçoit 500 livres soit 200 livres de plus que son père. Les archives du département permettent de constater que tous reçurent effectivement ces sommes en 1791 et 1792.

• • • Une vie après le chapitre

Quelques membres de la maîtrise peuvent être suivis encore quelques années : Françoise JAUBART, GASPARD et LATOUR (les trois plus jeunes) reçoivent encore 400 et 300 livres de gratification en octobre 1794 (moment de retour à un calme relatif en France). Pour tous, ce fut le moment où s’arrêta le versement des sommes initialement accordées pour le fonctionnement de la cathédrale constitutionnelle. Seuls ceux qui pouvaient prouver qu’ils avaient été « reçus à vie » pouvaient continuer de toucher l’intégralité de leur salaire antérieur. Quelques-uns peuvent être encore suivis au début du XIXe siècle. Françoise JAUBART se marie en octobre 1792 avec Jean Laborie, gendarme national, avec qui elle aura des enfants. Il semble qu’elle ait pu donner des cours de piano, d’orgue ou de clavecin pendant plusieurs années et elle meurt à Périgueux en mars 1820 à près de 50 ans. La suite de la vie de son père François et d’Antoine BARDON, son collègue, ne sont pour le moment connus que par l’acte de décès. Le premier meurt à l’hospice de Périgueux en avril 1814 à 70 ans et le second à Trélissac, petit ville de la proche périphérie de Périgueux, en mars 1830 à environ 80 ans, encore qualifié de « musicien » dans le registre d’état-civil. Joseph LEMOINE, le maître de musique, est décédé en 1809 à 75 ans à Périgueux ; il habitait place du cloître, à proximité de la cathédrale. Jean LATOUR connait, lui, une mort précoce à 32 ans en 1803. Cette même année, Jean PAUTARD se marie et est qualifié de « perruquier » ; jeune enfant de chœur de 15 ans en 1790, il avait pu se reconvertir vers ce métier. Enfin, un dernier musicien de Saint-Front a pu être suivi dans le contexte de la Révolution et au XIXe siècle, le joueur de clarinette Jean-Baptiste RIBOULET. Dans l’été 1792, il s’engage dans un régiment constitué en Dordogne pour se porter aux frontières et sa sœur obtient de lui une procuration en 1793 qui lui permet de toucher un tiers des appointements antérieurs de son frère car les volontaires obtinrent ce privilège par un décret de la Convention du 11 mars. Quand il meurt en 1827 à 73 ans, il est dit « ancien capitaine de gendarmerie » ; il avait donc poursuivi une carrière militaire sous l’Empire et peut-être les débuts de la Restauration.

• • • Le sort des orgues

Si la Révolution fut préjudiciable aux personnes employées par l'Église en leur faisant perdre leur source de revenus, elle le fut souvent aussi pour les instruments, les orgues en particulier. Celui de la cathédrale Saint-Front est connu par quelques sources. Un orgue semble bien présent dans la collégiale dès le XVIe siècle. Quand le buffet de l’orgue du XVIIIe siècle fut transporté de Saint-Front à Saint-Étienne à la fin du XIXe siècle, près de 100 ans après son démontage, on retrouva une planchette recouverte de cuivre (Eugène Roux, 1902) portant une inscription qui mentionnait le nom de celui qui avait financé sa construction entre 1731 et 1733, le chanoine Dominique Dejhan, ainsi que celui du facteur qui l’avait fabriqué, Marin CARROUGE, facteur d’orgues à Paris connu pour avoir réalisé plusieurs orgues dans tout le royaume (dont ceux de l’abbaye de La Chaise-Dieu et de la cathédrale de Clermont par exemple) et encore celui du premier titulaire Joseph JOSSOT, prieur de Saint-Martin (l’église d’une des paroisses de Périgueux). Les archives départementales conservent le témoignage de la destruction de l’orgue en 1794, ou plus exactement de la récupération des tuyaux qui seront fondus en lingots de plomb.
La même source fournit une liste des autres établissements contenant un orgue en 1790 : le collège, le petit séminaire de la Foi, les couvents ou monastères des Augustins, de Saint-Ursule, de la Visitation et de Saint-Benoît. Les archives consultées de ces établissements ne fournissent aucun autre renseignement sur ces instruments ni sur leurs titulaires en 1790. Il en est de même pour l’ensemble des communautés d’hommes et de femmes de la ville. De la musique, des chants accompagnaient-ils les célébrations religieuses de ces établissements ? Pour le moment, on ne peut que l’imaginer car les sources font défaut.

Les collégiales du diocèse de PÉRIGUEUX

Le diocèse de Périgueux compte cinq collégiales en 1790 : Aubeterre (aujourd’hui en Charente), Hautefort, La Rochebeaucourt, Ribérac et Saint-Astier. Mise à part cette dernière, les recherches n’ont apporté aucun document sur leur vie musicale en 1790 ou durant les décennies précédentes.

• • • La collégiale Notre-Dame de SAINT-ASTIER

4-Saint-Astier collégiale Notre-Dame

Saint-Astier, collégiale Notre-Dame (cl. Alain Blanchard, 2018)

L’église Notre-Dame fut fondée en 1013 par Robert le Pieux sur la tombe de saint Astier, et l’évêque de Périgueux établit alors des chanoines suivant la règle de saint Augustin, puis le chapitre fut sécularisé au milieu du XIIIe siècle. Dans les siècles qui suivirent, les bâtiments subirent les dégâts dus aux conflits qui touchèrent le Périgord (la Guerre de Cent ans, les guerres de Religion, la Fronde). Malgré tout, le bâtiment encore visible aujourd’hui est l’héritier des agrandissements et des aménagements du XVe siècle (créneaux, chemin de ronde) restaurés dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

Dans cette collégiale, somme toute modeste, le chapitre ne comprend que douze chanoines, un théologal et quatre prébendés (Abbé du Tems, 1774) et son revenu est de 4 785 livres selon le Pouillé de 1760. Les archives capitulaires conservées ne fournissent aucun document susceptible d’apporter des informations sur la vie du chapitre dans les années qui précèdent la Révolution pas plus que sur la musique, les chanteurs et les musiciens. Là encore, il faut s’appuyer sur les démarches de ces derniers à partir de la suppression du chapitre en 1790 et compléter avec ce que peuvent apporter registres paroissiaux et d’état-civil. Le corps de musique de la collégiale est sans commune mesure avec celui de la cathédrale de Périgueux ; il n’y ici que quatre musiciens et quatre enfants de chœur.

Il n’y a pas d’organiste connu en 1790 et la présence d’un orgue ne semble pas assurée à la veille de la Révolution. Signalons que celui que l’on peut voir aujourd’hui qui a un petit air XVIIe-XVIIIe siècles, est l’œuvre de la maison Pesce de Pau et date de… 2008. En 1790, Jean-Baptiste GIRARD SAINT-AMAND est maître de musique et il conduit un joueur de serpent Jean PRADEAU et deux chanteurs, Dominique BROC et Pierre DUMAS, basse-taille tous les deux. Les deux premiers cités ont le même âge, 58 ans, et une ancienneté comparable à la collégiale de Saint-Astier (53 et 52 ans). Cependant leur histoire se révèle un peu différente.

GIRARD SAINT-AMAND est certainement originaire de Périgueux et il a commencé sa carrière et sa formation comme enfant de chœur puis comme musicien (chanteur ?) à la cathédrale Saint-Front de 1738 environ à 1750. Cette année là, il devient maître de musique à Saint-Astier. Pendant quarante ans, il dirige la vie de la maîtrise mais on apprend, lors de son second mariage (1772), qu’il est aussi procureur au sein du tribunal du seigneur d’un petit village à l’est de Saint-Astier, une autre source de revenus pour lui. Il est aussi très proche des musiciens car il est souvent présent comme témoin voire comme parrain d’événements (baptêmes, mariages) de la vie de ses collègues (il est témoin au mariage d’une fille et au baptême d’un fils de Jean PRADEAU, par exemple). Marié à Saint-Astier, il a au total neuf enfants. Jean PRADEAU est lui natif de Saint-Astier et il a environ cinq ans quand il devient enfant de chœur à la collégiale puis joueur de serpent au début des années 1750. Il se marie quelques années plus tard et de ce mariage naîtront huit enfants et dans l’acte de baptême de l’un d’entre eux, il est dit « marchand ». Pour nourrir sa nombreuse famille, il devait donc avoir une double activité, un cas certainement fréquent. Dominique BROC et Pierre DUMAS sont des trentenaires en 1790 (36 ans pour le premier et 32 ans pour le second). Leurs profils de vie sont très proches. Certainement nés à Saint-Astier, c’est à la collégiale qu’ils deviennent enfants de chœur puis chanteurs dans les années 1770. Quand la Révolution interrompt brutalement leur activité musicale, ils ont déjà une expérience d’environ vingt ans sous la conduite de GIRARD SAINT-AMAND. Ce petit ensemble est en moyenne d’un âge supérieur à celui de Saint-Front de Périgueux (environ 46 ans contre environ 40) mais certainement une bonne cohérence vocale vue l’ancienneté de leur pratique commune. Les voix de dessus sont assurées par les quatre enfants de chœur, Jean BERGERON, Jean DOCHE, François DEVISE et Léonard LAMOTHE dont la moyenne d’âge est là aussi assez élevé (près de 15 ans) et proche de la mue voire plus, en particulier les deux premiers (17 et 16 ans). Mis à part le premier, ces jeunes sont originaires de Saint-Astier. Deux sont, de plus, très proches de Notre-Dame et de la maitrise par leurs parents : la mère de Jean DOCHE est blanchisseuse du chapitre et le père de Léonard LAMOTHE est le sacristain de la collégiale.

Peu de temps avant la Révolution, un musicien d'Angoulême avait fait un passage assez court à Saint-Astier, Jean-Joseph JUSPIERRE dit DESMOULINS. Né à Angoulême en février 1763, il entre à 7 ans comme enfant de chœur à la maîtrise de la cathédrale Saint-Pierre de sa ville natale. En 1781, il devient musicien dans la collégiale Notre-Dame de Saint-Astier, distante d’Angoulême de plus de 70 km, et il se marie avec une jeune femme de la ville. À la naissance de leur premier enfant en 1783, ils habitent au Fleix à 45 km plus au sud-ouest de Saint-Astier et Jean-Joseph est qualifié de régent, c’est-à-dire maître d’école, comme son épouse (ce qui est exceptionnel !). A-t-il abandonné toute activité musicale ? Ce n’est pas certain car bien souvent le maître d’école chantait au lutrin paroissial. Cependant, deux ans plus tard, c’est GIRARD SAINT-AMAND, le maître de musique de la collégiale, qui est le parrain d’un second fils, né à Saint-Astier ; ils avaient donc dû conserver des relations d’amitié. JUSPIERRE meurt au début de l’année 1790 à 27 ans seulement à Neuvic (près de Saint-Astier), laissant sa seconde épouse enceinte. Il disparaît ainsi de nos sources.
Enfin, on se doit d’évoquer la présence à Rotterdam, fin 1791, d'un musicien natif de Saint-Astier, Jean NEYSSENSAS, révélé par les recherches de l'un de ses descendants. On peut supposer qu'il avait appris la musique à la maitrise de la collégiale de sa ville natale, mais aucune preuve documentaire n'a été trouvée dans les maigres archives du chapitre.

À la différence de celui de Périgueux, le chapitre de Saint-Astier est supprimé en 1790. Tous ses musiciens alors sans emploi suivent la procédure rendue obligatoire par le décret du 24 juillet 1790 en adressant leur demande de secours. Elle est étudiée par le district de Périgueux qui émet un avis et propose une somme (16 janvier 1791), puis par le directoire du département qui fait la proposition ''officielle'' envoyée ensuite au Comité ecclésiastique de l’Assemblée nationale. Pour la collégiale de Saint-Astier, ce dernier document date du 16 février 1791. C’est lui qui permet d’avoir les informations utilisées plus haut sur chacun des membres de la maîtrise (âge, fonction, ancienneté dans une maîtrise) et leurs appointements en 1790. Ceux-ci sont plus homogènes que pour les musiciens de la maîtrise de Périgueux, environ 300 livres de fixe et 100 livres de casuel pour les musiciens mais pour le maître de musique, qui a la charge des enfants de chœur, les appointements sont de 900 livres et 150 livres de casuel. Comme pour ceux Périgueux, les musiciens de Saint-Astier sont présentés comme méritant bien une pension car ils sont, selon le directoire du département, dénués de ressources et chargés de famille souvent nombreuses. Ces arguments semblent dans l’ensemble exacts puisque la musique d’Église était leur seule occupation, sauf peut-être pour PRADEAU que nous reverrons plus loin. Dans leurs propositions de pension, les membres du directoire du département suivent à peu près les propositions du district de Périgueux qui elles-mêmes recoupent les traitements perçues jusqu’en 1790, sauf pour GIRARD SAINT-AMAND qui n’aura plus à s’occuper des enfants et pour lequel la pension proposée est de 500 livres seulement.

En effet, les anciens enfants de chœur suivent la même procédure et, au début de l’année 1791, ils font une demande collective pour obtenir une gratification. C’est certainement au même moment qu’ils apprennent que le département demande au maître de musique de les renvoyer chez leurs parents alors que GIRARD voulait une avance pour pouvoir encore s’occuper d’eux mais le directoire propose une gratification de 150 livres pour chacun sans plus. Tous la recevront (ainsi que les musiciens) dans l’année qui va suivre mais dans un premier temps 30 livres avaient été « oubliées » par département et les jeunes devront réclamer pour obtenir le total prévu ! Jean BERGERON va devoir très vite demander une avance car il ne demeure pas à Saint-Astier et il n’a pas l’argent pour les frais de route ; les autres font souvent intervenir leurs parents pour obtenir gain de cause. Le cas qui paraît le plus difficile est celui de Jean DOCHE car lui et sa mère étaient employés par le chapitre et ils perdent donc tous les deux leur seule source de revenus. On a là un exemple de ces petits drames qui ont dû être nombreux dans les villes de France où la suppression des chapitres laissa de nombreuses personnes sans emploi et donc sans revenu.

Les sources retrouvées pour le moment n’informent que très peu sur le devenir de ces huit personnes. Quelques documents permettent de saisir que les sommes prévues furent versées parfois après nouvelles demandes. On perd la trace des musiciens trentenaires à partir de 1792. En revanche, quand deux enfants de Jean PRADEAU se marient entre 1794 et 1801, l’ancien serpent est dit « marchand », une activité qu’il pratiquait déjà en même temps que son instrument. Il put ainsi réussir une reconversion sans trop de difficultés. Il décède à Saint-Astier en août 1810 à 78 ans. Son vieil ami et collègue GIRARD SAINT-AMAND est décédé un plus tôt en 1807 mais, entre temps, il a connu un destin pour le moins original. Veuf de sa seconde femme épousée en 1772 après la mort de la première un an plus tôt, il est ordonné prêtre en mai 1793 par l’évêque constitutionnel Pierre Pontard puis abdique comme celui-ci en décembre de la même année après avoir brièvement exercé son ministère dans diverses paroisses des environs de Saint-Astier. Dans les années 1797-1798, il est officier public à Saint-Astier et se remarie civilement (il a 68 ans). Plus tard, il cherchera à faire régulariser ce mariage par la commission présidée par le cardinal Caprara.
Seul le destin d’un enfant de chœur est connu après 1793-1794. Il s’agit de François DEVISE qui s’engage comme musicien dans la gendarmerie en août 1806 (il a environ 30 ans) puis dans les grenadiers à pied. De 1806 à 1809, il fait toutes les campagnes menées par Napoléon en Europe (Prusse, Pologne, Espagne). Congédié en 1809, il est réadmis en 1810 mais démissionne en février 1812. On perd alors sa trace.

Les musiciens du chapitre Notre-Dame de Saint-Astier forment donc un petit ensemble certainement proche de beaucoup d’autres dans la France d’Ancien Régime. Peu d’hommes mais qui se connaissent bien et accompagnent les célébrations depuis environ vingt ans en 1790 avec quatre enfants de chœur déjà solidement aguerris dans la pratique musicale. On ne peut savoir s’ils restèrent en contact après cette date, la plupart continuant à demeurer dans la ville. Ont-ils repris quelques fonctions dans l’église qui retrouve son activité religieuse à la fin du Directoire et au début du Consulat ? Pour le moment cette période n’est documentée que par deux informations. Léonard LAMOTHE, enfant de chœur de 11 ans en 1791, se marie en 1802 et il est alors dit tailleur ; il a donc pu trouver un métier mais bien loin du chant et de la musique pour lesquels il n’avait pu recevoir qu’une formation réduite. Pierre DUMAS, basse-taille en 1790, meurt en 1853 à 94 ans, un âge presque incroyable pour ce milieu du XIXe siècle. Mais plus de soixante ans après la Révolution, on se souvenait que c’était un « ancien chantre ». On peut émettre l’hypothèse qu’il avait repris son activité de chantre dans une église au début du siècle.

Les abbayes du diocèse de PÉRIGUEUX

Une douzaine d’abbayes sont recensées dans le diocèse de Périgueux à la veille de la Révolution, ainsi qu’une centaine de prieurés (E. Bermond-Picot et G. Leconte, 2017). Si dans ces derniers, on peut penser que la vie musicale devait être inexistante, il ne devait pas en être de même dans les premières. La recherche en archives n’a permis de retrouver que trois organistes pour les abbayes de Brantôme et Chancelade, Ligueux.

• • • L’abbaye Saint-Pierre de BRANTÔME

5-Brantôme abbaye Saint-Pierre

Brantôme, abbaye Saint-Pierre (cl. Alain Blanchard, 2017)

La première implantation de moines bénédictins date du VIIIe siècle. Ils vivaient dans des grottes, encore visibles, au pied de la falaise. Selon la tradition, Charlemagne fonda la première abbaye avec les reliques de saint Sicaire (un prénom encore fréquent au XVIIIe siècle avec Sicarie, comme version féminine). Au IXe siècle, elle fut détruite par les invasions normandes et reconstruite aux siècles suivants ; le clocher de style roman limousin est un des rares éléments encore visible du XIe siècle. Les XIIe et XIIIe siècles furent le temps d’un bel essor que la guerre de Cent ans interrompit. Les conflits religieux du XVIe siècle n’affectèrent pas l’abbaye mais le temps des abbés commendataires avait commencé ; le plus célèbre d’entre eux fut Pierre de Bourdeilles, homme de guerre et mémorialiste plus connu sous le nom de Brantôme. En 1636, comme tous les établissements bénédictins rattachés à la congrégation de Chezal-Benoit, l’abbaye de Brantôme adopta la réforme de Saint-Maur. Les Mauristes restaurèrent et/ou reconstruisirent les bâtiments qui sont encore visibles aujourd’hui. A la veille de la Révolution, les moines ne sont que neuf avec un revenu de plus de 8 000 livres (terres et dîmes dans diverses paroisses environnantes) et l’abbé commendataire et seigneur du village est l’abbé Louis-Auguste Bertin (depuis 1758), conseiller clerc au parlement de Bordeaux, conseiller d’Etat et frère d’Henri, ancien ministre de Louis XV et coseigneur du village.

L’église abbatiale comportait un orgue aujourd’hui disparu. L’organiste de 1790 est lui assez bien connu, il s’agit de Pierre LABIE. Avec lui nous avons un bon exemple de ces musiciens de province qui ont circulé d’une région à l’autre à la recherche, certainement, d’un emploi plus lucratif. Né en 1739 à Cahors dans le Quercy [Lot actuel] d’un marchand, « bourgeois » de la ville, c’est là qu’il a dû se former mais le lieu n'est pas encore connu avec certitude. En 1760, il obtient à 21 ans le poste d'organiste à l'abbaye Notre-Dame de Chancelade en plein cœur du Périgord, à quelques kilomètres de Périgueux mais à plus de 100 km de Cahors. Il y reste environ 17 ans (1760-1777) et il passe ensuite à l'orgue de l'abbaye Saint-Pierre de Brantôme à une vingtaine de kilomètres plus au nord pour toucher l’instrument « les jours de dimanche et fêtes » et reçoit 250 livres en argent (chaque 1er juin) et six boisseaux de froment à la saint Michel. Il restera 13 ans (1777-1790) en poste à l'abbaye des Bénédictins jusqu’à la fermeture de cette dernière. Pierre LABIE, de plus, a une particularité professionnelle originale qu’il partage avec GIRARD SAINT-AMAND, maître de musique de Saint-Astier : il était aussi le procureur fiscal dans la justice seigneuriale de l'abbaye, un emploi complémentaire supprimé en 1790. Le directoire du département propose une pension de 250 livres qui sera ramenée ensuite à 200 livres. Suivent alors des années, où il doit beaucoup "pétitionner" pour obtenir ce qui lui est dû. Dans les documents conservés, l’écriture est ferme et la signature suivie d’une élégante petite ruche. On sent l’homme frotté de droit qui sait argumenter et défendre sa cause avec habileté et preuves documentaires, comme le traité d’engagement passé entre lui et le prieur de l’abbaye daté du 1er juin 1777. En juin 1791, il envoie un mémoire de deux pages et une lettre d’accompagnement de huit pages directement au Comité ecclésiastique de l’Assemblée nationale. Les versements qui suivent pendant deux ans démontrent qu’il a obtenu gain de cause. Les années 1792-1797 ne sont pas documentées pour le moment. En 1797, il est à Saint-Yrieix (Haute-Vienne) avec femme et enfants dans une maison qui appartient à cette dernière ; Marguerite Valette, épousée à Périgueux en 1789, est en effet la fille d'un ancien maire de la ville de Saint-Yrieix. Dans son nouveau département, il devra encore réclamer sa pension avec des collègues, anciens musiciens de la collégiale du Moustier de la ville, en se heurtant au payeur général du département de la Haute-Vienne qui semble bien retarder le paiement des pensions dues. Après 1797, on perd pour le moment la trace de Pierre LABIE.

• • • L’abbaye Notre-Dame de CHANCELADE

6-Chancelade abbaye Notre Dame

Chancelade, abbaye Notre Dame (cl. Sylvie Granger, 2008)

L’abbaye est fondée à la fin du XIe siècle mais les constructions se développent au siècle suivant où les chanoines choisissent la règle de saint Augustin. Comme beaucoup d’autres établissements du Périgord, l’abbaye de Chancelade subit les conséquences désastreuses de la guerre de Cent ans et de celles de Religion. Au début du XVIIe siècle, en 1614, elle est en grande partie en ruine quand Alain de Solminihac en devient l’abbé à seulement 21 ans. Relançant à la fois la reconstruction des bâtiments et la réforme interne, il y attire de nombreux jeunes hommes du Périgord ou de régions proches. Le lieu retrouve sa splendeur passé malgré la nomination de son abbé comme évêque de Cahors en 1636. À partir de Solminihac, l’abbaye de Chancelade est à la tête d’une congrégation qui porte le même nom. Ses successeurs vont faire de Chancelade un haut lieu de l’érudition de la France des Lumières. La bibliothèque s’enrichit de milliers de livres, cartulaires et manuscrits et le scriptorium est très actif. On est tout à fait proche du travail des Mauristes. La Commission des réguliers ne pouvaient que proposer le maintien de l’abbaye dans ses décisions finales de 1768. Dans les vingt années qui suivent l’effectif des religieux diminue mais ils sont encore 24 en 1790 soit beaucoup plus que dans d’autres établissements périgourdins et la moyenne d’âge est de moins de 32 ans. La communauté de Chancelade est donc jeune et active.
Dans l’église, il y a un orgue et deux organistes sont connus pour les trois dernières décennies avant la Révolution. Pierre LABIE touche l’orgue dans la période 1760-1777 ; il passe ensuite à l’abbaye de Brantôme et a été présenté ci-dessus. LAFAYE est présent entre 1788 et 1790. Pour la dizaine d’années qui sépare ces deux organistes, on ne connaît pas l’identité du titulaire de la tribune mais il est difficile d’imaginer qu’elle demeura vacante. Les archives n’ont fourni que peu d’éléments sur la vie et la carrière de LAFAYE ; son prénom même nous est inconnu. Il a 20 ans en 1790-1791 et le directoire du département de la Dordogne dans son envoi au Comité ecclésiastique le 16 février 1791 nous apprend qu’il a été « enfant de chœur dès son bas âge » mais sans nous dire où, peut-être à la cathédrale Saint-Front. La même source donne le montant de son traitement fixe qui est de 400 livres, il n’y a pas de casuel. En janvier 1791, le district de Périgueux propose une gratification de 1 200 livres, somme trop importante pour que le directoire du département suive cet avis : il propose 800 livres. On ne sait pas s’il a reçu cette somme ni ce qu’il est devenu dans les années qui ont suivi.

• • • L’abbaye Notre-Dame de LIGUEUX

7-Ligueux abbaye Notre Dame de la Purification

Ligueux, abbaye Notre Dame de la Purification, le site avec l’ancienne église et des bâtiments XVIIIe siècle (Par Père Igor - Travail personnel, CC BY-SA 3.0, httpscommons.wikimedia.orgwindex.phpcurid=5999423)

Située à 15 km au nord-est de Périgueux, l’abbaye de Ligueux a un passé ancien. Si elle n’a certainement pas été fondée par Charlemagne, elle se développe aux IXe et Xe siècles et, comme beaucoup d’autres dans le Périgord elle est dévastée par les incursions normandes. Relevée au XIIe siècle et devient une abbaye de femmes prospère qui suit la règle de saint Benoit. Elle subit, elle aussi, les conséquences désastreuses de la guerre de Cent ans et de celles de Religion. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle connue un grand renouveau sous la direction d’abbesses issues de la famille Saint-Aulaire très implantée en Périgord. Au XVIIe siècle (1613) fut fondé un pensionnat pour jeunes filles nobles. Celles-ci apprenaient, entre particulier, le chant, la musique et le clavecin. A partir de 1750, les vocations religieuses sont moins nombreuses mais les pensionnaires sont bien présentes, auxquelles s’ajoutent des femmes (veuves souvent) qui viennent vivre à l’abbaye mais avec une vie indépendante de celle de la communauté.

Depuis le XVIIe siècle, la part musicale de la formation des pensionnaires implique la présence d’une personne présente à plein temps pour dispenser ces apprentissages. On peut supposer qu’il s’est toujours agi d’une femme. En 1787 Marie Madeleine BARDON est engagée pour ces activités et l'accompagnement des offices à l'orgue. Déjà citée plus haut, elle est la fille d’Antoine BARDON, basse-taille à la cathédrale Saint-Front de Périgueux. Née en 1771, elle a reçu une éducation musicale très soignée : "Depuis son enfance élevée dans l'exercice journalier de la musique", dit d'elle dans un dossier de 1791. Cette formation musicale a probablement été débutée dans le cadre familial, par son père. Mais elle semble avoir été poursuivie et élargie en dehors puisqu'un autre document évoque "ses talents développés par une éducation soignée qui a coûté des sacrifices à son père". Durant ces années de formation, elle a dû être très proche de Françoise JAUBART (elles ont le même âge), fille de François JAUBART, haute taille à Saint-Front et qui comme elle sera organiste mais à la cathédrale. C’est donc à 16 ans qu’elle commence à toucher l’orgue de l’abbaye de Ligueux et ses gages sont de 300 livres, une somme assez modeste mais elle est nourrie et entretenue par les religieuses. Comme pour tous ses collègues musiciennes et musiciens, les décisions prises à l’Assemblée nationale dans l’été 1790 signent la fin de son activité visible, mais ici on se situe dans un cas un peu particulier. Marie-Madeleine BARDON effectue les démarches pour obtenir pension ou gratification. Elle ne semble pas obtenir pleinement gain de cause quand elle réclame de bénéficier de la loi du 1er juillet 1792. Elle déclare avoir été employée pendant cinq ans comme organiste et maîtresse de musique à l'abbaye de Ligueux. Cette durée peut paraître surprenante mais le pensionnat rouvre bien à la rentrée d'octobre 1790 et elle dut reprendre son activité auprès des pensionnaires. Cependant, la situation matérielle de l'abbaye devient précaire car des biens avaient déjà été mis sous séquestre et au printemps 1791, ils sont vendus comme Biens nationaux. Le couvent est finalement évacué fin septembre-début octobre 1792, les religieuses se réfugiant dans leur famille ou dans des familles amies du bourg. Marie-Madeleine perd son emploi à ce moment là seulement. Son dossier est étayé par un certificat de service établi par "la citoyenne Saint Aulaire ci-devant supérieure de la communauté de Ligueux". Il indique que "la citoyenne Bardon a été constamment attachée à la communauté en qualité d'organiste et de maîtresse de musique depuis le mois d´octobre 1787 jusqu´au 1er septembre 1792 aux gages et appointements annuels de 500 lt" (cette somme associe ses 300 livres de gages et l'évaluation de son entretien antérieur). Sans pouvoir affirmer qu'il s'agit là d'un certificat de complaisance, on peut penser que la supérieure a donné une durée globale (cinq ans) qui dut connaître des moments d'interruptions entre 1790 et 1792. Après examen de sa situation, le directoire du département de la Dordogne lui accorde une gratification de 500 livres ; à la différence d’une pension, c’est une somme unique versée à la musicienne qui n’a que 21 ans. Les recherches actuelles ont permis de savoir qu’elle se marie en juin 1797 à Périgueux mais on ne sait pas si elle a pu continuer à pratiquer son art en donnant des leçons d’orgue, de clavecin ou de piano, par exemple. Par contre les bâtiments de l’abbaye furent en partie démembrés et vendus. Toujours entre des mains privées, quelques-uns sont encore visibles aujourd’hui : l’église avec une partie romane et l’autre plus classique comme le « château », plus exactement le logis de la prieure datant du XVIIe siècle, la belle porte d’accès principale et quelques communs.

On aura pu remarquer qu’au cours de cet examen des lieux de musique de l’ancien diocèse de Périgueux, il n’est pas fait mention de vie musicale à Bergerac, la ville pourtant la plus importante du Périgord, mais sans cathédrale ni collégiale. Il y avait principalement une église (Saint-Jacques) située au cœur d’une paroisse importante et active ainsi qu’une demi-douzaine d’établissements religieux d’hommes et de femmes. Comment imaginer qu’aucune musique, qu’aucun chant, qu’aucun chanteur ni musicien n’animaient les célébrations ! Et pourtant toutes les recherches sont restées vaines pour le moment. Un seul homme de musique ressort de l’enquête, François LAVERGNE, originaire du diocèse de Léon [actuel Finistère], né vers 1742, qui meurt à Bouniagues, gros bourg à environ dix km au sud de Bergerac, en novembre 1787. Il est dit « organiste » dans le registre de la paroisse mais était-il de passage ou bien touchait-il un orgue dans le village ? À Bergerac ? Aucun élément de réponse pour le moment.

La vie musicale dans l’ancien diocèse de Sarlat

La ville de SARLAT

Née au début du IXe siècle autour d’une abbaye bénédictine, la vie de Sarlat se développe dans les siècles qui suivent. Au XIIIe siècle, un consulat indépendant de l’abbé et protégé par le roi est crée. Ce choix du roi se retrouve à toutes les étapes de l’histoire - guerre de Cent Ans, guerres de religion (Sarlat est catholique face à Bergerac ardent foyer de la Réforme) ; la ville en obtient d’importantes libertés au milieu du XVe siècle. Pendant toute cette période une riche bourgeoisie de marchands prend son essor ainsi qu’une bourgeoisie d’offices (Sarlat est siège d’une sénéchaussée qui devient présidial au milieu du XVIIe siècle). Son riche patrimoine immobilier composé notamment de beaux hôtels particuliers (fin XVe-XVIIe siècles) en fait aujourd’hui un des pôles touristiques de la Dordogne. La vie culturelle fut aussi active, en particulier à la Renaissance (La Boétie est né à Sarlat en 1530). A la fin du Grand siècle s’amorce un déclin bien sensible en 1789-1790.

• • • La cathédrale Saint-Sacerdos

8-Sarlat cathédrale Saint-Sacerdos

Sarlat, cathédrale Saint-Sacerdos (Par Gilbert Bochenek - Travail personnel, Domaine public, httpscommons.wikimedia.orgwindex.phpcurid=6223603)

À la création du diocèse de Sarlat au début du XIVe siècle, l’abbaye bénédictine fut sécularisée et devint cathédrale sous le vocable de Saint-Sacerdos. La reconstruction fut lancée par l’évêque Armand Gontaud de Biron au début du XVIe siècle mais les guerres de Religion et les problèmes financiers ne permirent son achèvement qu’à la fin du XVIIe siècle, en particulier sous l’épiscopat de François III de Salignac de la Mothe-Fénelon, oncle de Fénelon.

Le chapitre de la cathédrale resta régulier et bénédictin pendant deux siècles et demi et devint séculier en 1561. En 1789, il comportait 18 chanoines dont un doyen, un prévôt, un théologal, des archidiacres auxquels s’ajoutaient huit « prébendiers » nommés par les chanoines. Selon le Pouillé de 1760, le revenu était de l’ordre de 12 000 livres. Comme pour la plupart des établissements de l’actuelle Dordogne, les archives conservées sont des plus modestes mises à part quelques éléments sur la comptabilité du chapitre en 1785-1786 avec, en particulier, l’indication de sommes versées au maître de musique.

À la veille de la Révolution, Joseph-Anne Falcombelle de Ponte d’Albaret est évêque depuis plus dix ans. Le revenu du diocèse se monte à 30 000 livres (La France ecclésiastique, 1790). Si, comme son confrère de Périgueux, l’évêque n’est pas élu député aux États généraux, son destin est un peu particulier. Le siège épiscopal étant supprimé, il n’est pas contraint au serment en 1791 et reste à Sarlat dont il devient maire pendant 18 mois. En 1792, il est à Paris, protégé par l’évêque de Périgueux Pierre Pontard, ancien archiprêtre de Sarlat. En 1794, après Thermidor, il revient à Sarlat mais doit finalement émigrer à Turin, berceau de sa famille, jusqu’à sa mort en 1800.

• • • La musique du chapitre

À côté du plain-chant assuré par des ecclésiastiques (huit prébendés, un diacre, un sous-diacre, un maître de cérémonies et plusieurs gagistes), il y a à Sarlat un groupe de musiciens composé d’un maître de musique Michel LEFFRY des FONTAINES, d’un organiste Pierre Dominique CHAUCHAT, d’un joueur de serpent Jean Martin VINCENOT, d’un musicien (chanteur ?) Jean VEDRENNE et d’une basse-taille Thomas GARDIE. À ces cinq adultes s’ajoutent six enfants de chœur : Jean COQUERELLE, Albert GAIGNERIE, Jean LACOMBE, Etienne MONTURUS, François MAURIBAUD et Jean RESSIGNIE. Au total, un ensemble tout à fait conforme à ce que l’on peut trouver dans une modeste cathédrale pour accompagner la liturgie : trois personnes de plus qu’à la collégiale de Saint-Astier, moitié moins qu’à la cathédrale de Périgueux mais exactement le même effectif qu’à celle de Tulle [actuelle Corrèze].

L’âge moyen de ces musiciens est cependant plus proche de celui du corps de musique de la collégiale de Saint-Astier (un peu plus de 47 ans) que de celui de Saint-Front (40 ans). Le plus âgé est le chanteur GARDIE (62 ans) puis vient LEFFRY (55 ans) les trois autres sont des quadragénaires. Les enfants de chœur sont en moyenne assez âgés (14 ans) comme à Saint-Astier mais ils sont présents depuis plus de huit années en moyenne et sont entrés dans la maîtrise entre 5 et 6 ans ; ils ont dû tous être formés par LEFFRY. La situation de 1789-1790 aurait pu vite poser un problème de jeunes voix car celles-ci allaient rapidement muer mais les événements en ont décidé autrement ! Dans l’état actuel des sources rassemblées, on n’est que très peu renseigné sur ces six jeunes garçons. On peut supposer qu’ils sont originaires de Sarlat ou de paroisses très proches mais, précise le directoire du département en avril 1791, « les parents de cette jeunesse sont très pauvres » soit une situation assez fréquente dans les maîtrises.

L’origine et la formation initiale des cinq adultes sont elles aussi très peu documentées. Si l’on peut déduire un âge par les informations fournies par le directoire au Comité ecclésiastique, on n’a aucun indice de l’origine géographique des musiciens sauf pour VEDRENNE dont on peut supposer qu’il est né à Périgueux et pour CHAUCHAT qui est né à Mende dans le Gévaudan [actuelle Lozère]. Ces deux musiciens arrivent à Sarlat jeunes adultes (entre 25 et 35 ans) mais beaucoup plus tard pour GARDIE (à près de 50 ans). Tous ont été recrutés grâce à leurs qualités et leur expérience mais on ne possède aucun élément pour déterminer où elle fut acquise sauf pour VINCENOT, qui fut dix ans joueur de serpent à la collégiale de Monpazier (dans le diocèse, à une trentaine de km au sud-ouest de Sarlat). En revanche pour Pierre Dominique CHAUCHAT, un indice fourni par le directoire du département laisse penser qu’il fut recruté à 20 ans comme organiste pour la cathédrale. Mais a-t-il été formé sur place ou à Mende où il est né ? Les sources sont muettes sur ce point.

Face à tous ces manques d’informations, la vie et la carrière de Michel LEFFRY des FONTAINES tranchent car elles sont bien étayées par des sources et des études plus anciennes. Il nait en 1735 dans le Comtat-Venaissin, terre papale, et c’est à la collégiale Saint-Pierre d’Avignon qu’il débute sa carrière d’enfant de chœur à l’âge de 8 ans. Trois ans plus tard, il arrive à la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix comme enfant de chœur puis il y exerce comme basson (1746-1762). Il s’engage en parallèle dans la carrière ecclésiastique et est ordonné en 1760 à 25 ans. Pendant les vingt années qui suivent, on peut le suivre dans un parcours qui le mène à la cathédrale Saint-Nazaire de Carcassonne comme maître des enfants de chœur (1762-1769), puis à Troyes, ensuite à la collégiale Saint-Seurin de Bordeaux comme maître de musique (1770-1774) et enfin, en 1779, il arrive pour prendre cette même fonction à la cathédrale Saint-Sacerdos de Sarlat.

• • • La dissolution en 1790

Lors de la perte de leur emploi en 1790, tous ces musiciens du chapitre de Sarlat vont agir comme tous leurs collègues pour obtenir pension ou gratification.

Les six enfants de chœur ont mené des actions en parallèle. Si le département propose une gratification de 150 livres, le montant sera ramené à 120 livres par le Comité ecclésiastique. En attendant cette information, leur parents réclament un acompte en mai 1791 et obtiennent 12 livres du directoire du département. Le solde de l’indemnité accordée est versé dans l’été 1792 en application de l’article 9 de la loi du 1er juillet. COQUERELLE et RESSIGNIE essaient en juin 1794 d’obtenir davantage mais leur demande est renvoyée au district. Le second s’appuie sur une pratique du chapitre de Sarlat qui, dit-il, donnait une certaine somme quand les enfants de chœur quittaient le chapitre mais il ne précise pas laquelle. À partir de ce moment, on perd toute trace d’eux.

Peu de documents ont été trouvés concernant les musiciens du chapitre. Dès le mois de mai 1790, ils avaient fait une demande collective au Comité ecclésiastique pour recevoir leurs gages. Ensuite chacun s’emploie à obtenir la meilleure somme possible. Pierre Dominique CHAUCHAT recevait en 1790 le traitement le plus élevé, 500 livres (mais pas de casuel) et le directoire propose la même somme comme pension. Pour les autres, il propose des sommes inférieures, 200 livres contre 300 pour GARDIE et 300 contre 400 livres pour VINCENOT. Seul VEDRENNE bénéficie d’une somme plus importante : il ne percevait que 100 livres de fixe et 60 livres de casuel et le directoire propose une somme de 600 livres mais c’est une gratification, soit une somme versée une seule fois sans que la raison soit précisée. À partir de l’été 1791, le sort de chacun sera lié à sa situation particulière. CHAUCHAT qui avait obtenu un emploi à vie en 1781 finit par réussir à obtenir ce qu’il pouvait espérer (une pension viagère de 500 livres) car ce cas de figure était bien prévu par la loi du 1er juillet 1792. Selon cette même loi, VINCENOT, VEDRENNE et GARDIE qui n’avaient pas quinze ans d’ancienneté ne pourront toucher qu’une gratification équivalente à une année et demie de leurs gages antérieurs. En dépit des recherches menées dans l’état-civil, la situation de ces musiciens à partir de ces années 1792-1793 n’est pas connue pour le moment, à l’exception de celle de Thomas GARDIE. Parti vers 1792 à Vierzon dans le Berry, laissant son épouse à Sarlat, il devient instituteur et meurt en 1797 à Mehun-sur-Yèvre (petite ville au sud de Vierzon).

Là encore, le cas de Michel LEFFRY se distingue des autres. Prêtre, semi-prébendé, titulaire de deux chapellenies (une près de Sarlat, l’autre près d’Aix-en-Provence), il avait un revenu de près 1 300 livres et pouvait justifier de 48 ans de service. Début 1791, il fait des démarches auprès du Comité ecclésiastique pour expliquer sa situation et obtenir une somme correspondant à ses services mais le district et le département rabattent ses prétentions financières à 700 livres par an. Une somme que, de fait, il va pouvoir toucher mais en tant que vicaire dans diverses paroisses des environs de Sarlat où il semble avoir exercé son ministère sans trop de difficulté, prêtant tous les serments prévus par le Concordat mais il meurt deux ans plus tard à Sarlat à près de 70 ans.

• • • Orgue et organiste dans le temps des épreuves

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Sarlat, cathédrale Saint-Sacerdos, l’orgue (cl. Alain Blanchard, 2016)

Une note d’information sur le site internet de l’Association pour le Développement de l’Orgue en Aquitaine (section de la Dordogne) permet de connaître un peu mieux l’histoire de celui que touchait Pierre Dominique CHAUCHAT en 1790. L’orgue avait été commandé par le chapitre en mars 1749 au jeune Jean-François Lépine (1732-1817) qui fut aidé par Antoine Dupont. Ce facteur est le fils de François Lépine (1681-1761) qui a réparé et/ou construit de nombreuses orgues dans tout le sud-ouest de Bordeaux à Toulouse. Jean-François a d’abord travaillé avec son père (orgues des cathédrales d’Albi, de Rodez) et plus tard pour son compte, en particulier dans le Languedoc (orgue de la collégiale de Pézenas, des cathédrales d’Agde et de Narbonne). La réception de l’orgue de Sarlat eut lieu le 22 octobre 1752.
 CHAUCHAT, organiste en 1790, le préserve de la destruction pendant la Révolution. CHAUCHAT reprend l’orgue en main au moment du Consulat et la fabrique de la paroisse lui démontra sa gratitude à deux reprises (1808 et 1811) en lui accordant le titre de « conservateur surveillant de l’orgue, organiste émérite et honoraire » et sa femme et ses filles bénéficièrent d’une chaise à l’église paroissiale sans avoir à la payer. L’organiste mourut en 1823 à 72 ans (B. Podevin, 2014). L’orgue est encore aujourd’hui un très bel instrument plusieurs fois restauré au XIXe et au XXe siècle et la dernière fois entre 2001 et 2005 mais 80 % du matériel sonore est d’origine. L’état-civil de Sarlat permet de savoir que deux des compagnons de la maîtrise de 1790 sont morts eux aussi assez âgés. VINCENOT meurt en 1813 à 66 ans, il est alors qualifié d’instituteur de l’école primaire de la ville. Quant à VEDRENNE, il est décédé en 1839 à 87 ans, un âge rarement atteint au XIXe siècle.

Les collégiales du diocèse de SARLAT

Quatre collégiales sont identifiées pour le diocèse de Sarlat : Beaumont, Biron, Issigeac et Monpazier mais seules deux ont pu être étudiées dans le cadre de notre enquête, Biron et Monpazier. Aucun document n’a été retrouvé pour les deux autres.

• • • La collégiale Notre-Dame-Pitié de BIRON

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Biron, collégiale Notre-Dame de Pitié (cl. Alain Blanchard, 2016)

Cette collégiale a été fondée dans l’enceinte du château des Gontaut-Biron entre 1500 et 1515 par Armand de Gontaut, évêque de Sarlat. L’édifice servait auparavant d’église paroissiale ; devenue collégiale, elle fut pourvue d’un petit chapitre séculier de trois chanoines avec de très modestes revenus (400 livres selon le Pouillé de 1760). Les informations sont bien ténues en particulier sur la musique que l’on put entendre dans ses murs. En 1790, un chantre apparaît dans les sources classiques de l’enquête, il s’agit d’un nommé Jean HUGONIS. Il est absent des documents envoyés au Comité ecclésiastique par le directoire du département mais lui-même fait une demande de pension en juillet 1792. Deux ans plus tard, son frère demande le versement de ce qui était dû à Jean entre temps décédé. Il est en effet enterré le 24 septembre 1792 ; il est alors qualifié d’ancien curé d’une paroisse voisine de Biron.

• • • La collégiale Notre-Dame de MONPAZIER

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Monpazier, collégiale Notre-Dame (cl. Alain Blanchard, 2018)

À l’origine, une collégiale fut érigée en 1318 à Capdrot (2 km à l’est de Monpazier) par le pape Jean XXII quand il créa le diocèse de Sarlat. En 1491, le chapitre fut transféré à Monpazier et l’église paroissiale devint collégiale avec dix chanoines séculiers et des revenus de l’ordre de 3 000 livres (Pouillé, 1760). En 1790, les musiciens forment un petit ensemble de trois personnes : BÉRAUD, l’organiste, Pierre SELVES et Jean MAURIAC les chantres. Quelques années auparavant, Jean Martin VINCENOT jouait du serpent (entre 1776 et 1785) mais, en 1790, nous l’avons vu, il est en poste à la cathédrale Saint-Sacerdos de Sarlat. Ces trois hommes sont très proches en âge (30 ans en moyenne) et leur histoire, en fonction des archives disponibles, semble parallèle. Probablement nés à Monpazier ou dans une paroisse proche, ils ont été enfants de chœur (« au service de l’église depuis la plus tendre enfance » dit le directoire du département). Leurs talents et leurs fonctions différents doivent expliquer les traitements en 1790 : BÉRAUD reçoit 300 livres, SELVES et MAURIAC, 84 livres de fixe et 60 livres de casuel. Dans son envoi au Comité ecclésiastique du 6 avril 1791, le directoire du département les présente tous les trois comme pauvres or leurs actes de mariages laissent un doute quant à cette situation. Les témoins signent pratiquement tous d’une main ferme et portent des noms qui peuvent révéler une certaine aisance sociale (le sieur de Grifoul, Louis Gabel de Monphanès). De même, les deux chantres sont présentés comme « chargé(s) d’une nombreuse famille » ce qui peut étonner pour des hommes de 30 ans, mariés depuis assez peu d’années ! Le directoire forcerait-il le trait pour convaincre le Comité ecclésiastique ?

12-Monpazier maison dite du chapitre

Monpazier, maison dite du chapitre (cl. Alain Blanchard, 2018)

Depuis le début de l’année 1791, les trois hommes ont fait une demande de traitement au district de Belvès dont dépend Monpazier et au printemps le directoire du département propose pour eux des gratifications : 300 livres pour BÉRAUD et 400 livres pour SELVES et MAURIAC. À la fin de l’année, le directoire, accorde aux deux chantres une même gratification de 144 livres soit l’équivalent de leur traitement total de 1790, et 200 livres à l’organiste. Est-ce suite à l’avis du Comité ? On ne le sait pas. Les seuls documents actuellement connus pour les années qui suivent sont des certificats de civisme accordés aux deux chantres par le district de Belvès entre 1793 et 1794. Peu d’éléments ont été retrouvés sur leur vie. Joseph BÉRAUD est encore en vie quand sa femme meurt en 1826 à Monpazier. Seule la date de décès de Pierre SELVES est connue, 1833, il est dit « chantre », un souvenir de son ancienne activité ou bien une fonction continuée très tard ? On ne le sait pas non plus.

Les abbayes du diocèse de Sarlat

Le diocèse de Sarlat a pu compter six ou sept abbayes dont certaines étaient déjà devenues de simples prieurés avant la Révolution comme celle de Paunat, par exemple. En 1790, seul le prieuré de Saint-Cyprien semble avoir abrité une petite activité musicale.

• • • Le prieuré Saint-Cyprien de SAINT-CYPRIEN

L’histoire de cette abbaye est comparable à celle de beaucoup d’autres. Une fondation (selon Grégoire de Tours mais en partie légendaire) par un ermite du nom de Cyprien au VIIe siècle dans une grotte, puis un premier monastère autour de son tombeau dont il ne reste rien sur place, pas plus que dans les archives. Les premières mentions solides remontent à la fin du XIe siècle ; elles confirment la présence de moines mais évoquent des réformes canoniales et les liens qui se tissent et se défont avec les abbayes de Moissac [actuel Tarn-et-Garonne] et de Saint-Sernin de Toulouse. Au XIIe siècle le monastère devient un prieuré de l’abbaye de Chancelade. Le clocher-donjon date du même siècle. Au Moyen Âge comme aux Temps modernes, le prieuré est riche par ses possessions foncières sur les bords de la Dordogne et le revenu estimé en 1760 est encore de 3 000 livres (Pouillé). L’église, reconstruite aux XIIIe et XIVe siècles subit, comme dans tout le Périgord, les destructions de la guerre de Cent Ans et des guerres de Religion. La vie religieuse est rénovée sous l’impulsion de Chancelade dans le dernier tiers du XVIIe siècle tout comme une partie des bâtiments et du mobilier. Les chanoines réguliers suivaient, comme à Chancelade, la règle de Saint-Augustin. En 1789-1790, le dernier prieur est l’érudit Joseph-Marie Prunis (à partir de 1782 à 50 ans), d’abord novice puis abbé de Notre-Dame de Chancelade. Soutenu par le ministre Bertin, il est le premier véritable historiographe du Périgord et sera le premier maire de la commune.

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Saint-Cyprien, prieuré Saint-Cyprien (Par Mairie de Saint Cyprien - Mairie de Saint Cyprien, CC BY-SA 3.0, httpscommons.wikimedia.orgwindex.phpcurid=10007320)

À l’intérieur de l’église, on voit encore aujourd’hui un bel orgue avec un buffet XVIIe siècle en chêne, peut-être réalisé par un facteur de l’école toulousaine. S’il a été restauré par un facteur allemand au début des années 1980 à l’initiative du grand organiste André Isoir, on peut imaginer le dernier titulaire le toucher en 1790-1791. Il s’agit de Pierre RUSSEL qui est alors âgé de 52 ans et qui est en poste à l’orgue depuis 1780. Quand il se marie en novembre 1766 près de Nontron (en Dordogne aujourd’hui mais dans le diocèse de Limoges au XVIIIe siècle), il est dit organiste et horloger (au baptême d’un enfant en 1769, il est présenté comme « maître horloger »), une double activité qui lui permet d’avoir des revenus corrects. Si l’on ne connaît pas son origine géographique ni la formation qu’il a suivie, on sait par les dossiers qu’il présente en 1791 pour obtenir une pension, qu’il fut douze ans titulaire de l’orgue de l’abbaye de Brantôme (1754-1766) puis douze ans encore de celui de Saint-Yrieix [actuelle Haute-Vienne]. En 1790, il totalise ainsi une solide expérience de 37 ans qui lui permettra d’obtenir enfin 400 livres de pension en octobre 1792, soit le traitement de 1790, en application de la loi du 1er juillet alors que dix-huit mois auparavant le directoire du département ne proposait que 250 livres.

• • •

La Dordogne n’est donc pas un département particulièrement riche quant à la vie musicale d’Église en 1790. Deux cathédrales, trois collégiales et quatre abbayes regroupaient moins de cinquante musiciens, soit assez peu pour 400 000 habitants. On peut difficilement imaginer que d’autres musiciens professionnels en exercice aient pu négliger de faire les démarches de tous leurs collègues pour obtenir quelques subsides après avoir perdu leur poste. Les documents qui nous permettraient de le savoir ont-ils été détruits ou se sont-ils perdus entre le Périgord et Paris ? Sont-ils cachés quelque part ? D’autres recherches, d’autres chercheurs apporteront peut-être une réponse à ces interrogations.

Alain Blanchard
Université de Limoges
(avril 2019)
Mise à jour : 10 décembre 2020

Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de nombreux contributeurs, notamment :
Bernard Dompnier, François Caillou, Youri Carbonnier, Mathieu Gaillard, Sylvie Granger, Georges Honorat, Isabelle Langlois, Christophe Maillard, Michel Meunier, Françoise Raluy.
 Merci à toutes et à tous

Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne) 

>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.

L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.

Les lieux de musique en 1790 en Dordogne

Carte des lieux de musique de la Dordogne

Les lieux de musique d'Église documentés en 1790 dans le département de la Dordogne

Diocèse de Périgueux

Diocèse de Sarlat

Pour en savoir plus : pistes bibliographiques

  • François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klinksieck, 1999, 367 p. [Sur Périgueux : p. 246-247 ; pas de mention de la cathédrale de Sarlat]

Sources imprimées

  •  La France ecclésiastique pour l’année 1790.
  • Pouillé de 1760.
  • Guillaume DELFAU, Annuaire statistique du département de la Dordogne pour l’an XII de la République, Périgueux, Dupont, An XII [1803].
  • Hugues du TEMPS (abbé), Le clergé de France, Paris, Delalain, 1774 (diocèse de Périgueux : p. 580-614 ; diocèse de Sarlat : p. 614-633).

Ouvrages sur la Dordogne, pistes bibliographiques

  • Pierre BARRIERE, La vie intellectuelle en Périgord, 1500-1800, Bordeaux, Delmas, 1936, 587 p.
  • Richard BEAUDRY, « Alimentation et population rurale en Périgord au XVIIIe siècle », Annales de démographie historique, 1976 p. 41-59.
  • Noël BECQUART, « Quelques musiciens et gagistes à la veille de la Révolution dans les églises du Périgord », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. CVII, 1980, p. 55-58.
  • Evelyne BERMOND-PICOT et Gérard LECONTE, Les abbayes et prieurés du Périgord, GLI, 2017, 247 p.
  • Jean-Emmanuel BONNICHON, Recherches sur l’économie et la société de Périgueux au XVIIIe siècle, D.E.S., Paris, 1957, 340 p. (Compte-rendu par Jean-Pierre POUSSOU, Annales de démographie historique, 1970, p. 383-386).
  • René BOUET, « Les religieux du Périgord au temps de la Révolution française », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. CXXIX, 2002, p. 568-583.
  • René BOUET, « Les derniers curés d’Ancien Régime du Périgord », Le Périgord révolutionnaire¸ supplément du Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. CXVI, 1989, p. 161-217.
  • René BOUET, Dictionnaire du clergé du Périgord au temps de la Révolution, Piégut, Delta concept, 1993.
  • René de BOYSSON, Le clergé périgourdin pendant la période révolutionnaire, Paris, Picard 1907, 340 p.
  • Henri BRUGIERE (abbé), Le livre d’or des diocèses de Périgueux et de Sarlat ou le clergé du Périgord pendant la période révolutionnaire, Montreuil-sur-Mer, 1893.
  • Anne-Marie COCULA (dir.), Histoire de Périgueux, Périgueux, Fanlac, 2011.
  • Anne-Marie COCULA, Un fleuve et des hommes. Les gens de la Dordogne au XVIIIe siècle, Paris Tallandier, 1981, 525 p.
  • Michel COMBET (dir.), Histoire de Bergerac, Périgueux, Fanlac, 2017, 436 p.
  • Michel COMBET, Jeux de pouvoir et familles. Les élites municipales à Bergerac au XVIIIe siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2002.
  • Alfred DUJARIC-DESCOMBES , « Archives du chapitre de Périgueux », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. XL, 1916, p. 223-228.
  • Alfred DUJARIC-DESCOMBES , « La société littéraire de Périgueux en 1780 », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. X, 1883, p. 593-599.
  • Jean-Joseph ESCANDE, Histoire de Sarlat, Sarlat, Lafaysse, 1936 (3ème édition), 558 p.
  • Abbé FARNIER, Autour de l’abbaye de Ligueux, reprint Le livre d’Histoire, Paris, 2003 (1ère édition 1931), 218 p.
  • Guy FLORENTY, Paroisses et communes de France. Dictionnaire d’histoire administrative et démographique. La Dordogne Paris, CNRS, 1996.
  • Michel HARDY, « Note sur la nomination d’un maître de la psallette par les chapitres de Saint-Etienne et de Saint-Front de Périgueux, le 1er juin 1652 », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. XV, 1888, p. 49-51.
  • Bernard LACHAISE (dir.), Histoire du Périgord. De Lascaux à Lascaux II, Périgueux, Fanlac, 2000, 310 p.
  • Jacques LAGRANGE, « De la vie des religieux à Périgueux (1789-1795) », Le Périgord révolutionnaire¸ supplément du Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. CXVI, 1989, p. 83-160.
  • Philippe LOUPES, Chapitres et chanoines de Guyenne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris EHESS, 1985, 590 p.
  • Philippe LOUPES, « Milieu capitulaire et carrières canoniales en Guyenne aux XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire, économie et société, 1985, n° 1, p. 61-89.
  • Guy MANDON, « Quelques hypothèses sur l’état économique et social du Périgord à la veille de la Révolution », Le Périgord révolutionnaire¸ supplément du Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. CXVI, 1989.
  • Guy MANDON, 1789 en Périgord. La Révolution et les chemins de la liberté, Bordeaux, éditions Sud-Ouest, 2012, 412 p.
  • Guy MANDON, La société périgorde au siècle des Lumières, Périgueux, Médiapresse, 1982. [Le terme « périgorde » est un néologisme auquel semble tenir l’auteur]
  • Guy PENAUD, Histoire des diocèses du Périgord, éditions impressions, St Pierre-d’Eyraud, 2010.
  • Bernard PODEVIN, « Musiciens à la cathédrale de Sarlat de Jacques Tronche (XVIIe siècle) à François Lafaye (XIXe siècle) », Art et Histoire en Périgord noir, n° 139, 2014, p. 142-151.
  • Eugène ROUX, « Note sur une planchette portant une inscription sur fabrication de l’orgue en 1731-1733 », Bulletin de la Société historique et Archéologique du Périgord, t. XXIX, 1902, p. 535.
  • Robert VILLEPELET, La formation du département de la Dordogne, Périgueux, 1908, 154 p.
  • Pour les orgues de la Dordogne, consulter le site internet de « L’Association pour le développement de l’orgue en Aquitaine » et la publication du collectif : Orgues en Aquitaine, Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes, ADAMA, Aix, Edisud, 1988, 212 p.
  • Sur le joueur de basson à Rotterdam originaire de Saint-Astier, les recherches de Thierry Neycensas :
     https://neyssensas-neycensas.blogspot.com/p/1790.html

Bibliographie élaborée par Alain BLANCHARD (avril 2019)
Mise à jour : 11 juillet 2019

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